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Guide humanitaire pour négocier avec les autorités sous sanctions

Que se passe-t-il lorsque l’autorité à laquelle vous devez vous adresser est l'objet de sanctions ?

Les sanctions peuvent s'appliquer à des secteurs économiques, personnes individuelles, économies entières ou même restraindre l'entrée à certains pays. Souvent, elles se chevauchent avec l’impératif humanitaire d’accès et d’assistance aux personnes touchées par un conflict ou une catastrophe.

Dans un webinaire récent du CCHN, l'experte Delaney Simon et le leader humanitaire Mustafa Alokoud ont discuté de ce que signifie négocier avec les autorités placées sous sanctions. Leur conversation a permis de comprendre des reflections juridiques et conseils pratiques pour tous ceux et celles qui travaillent dans des contextes humanitaires .

Que sont les sanctions et pourquoi les humanitaires devraient-ils s’en soucier ?

Les sanctions sont des outils utilisés par les gouvernements, les Nations Unies et les organisations multilatérales pour faire pression sur des pays, des groupes ou des individus afin qu'ils modifient leur comportement. Il s'agit de pressions économiques et diplomatiques visant à isoler certains acteurs sans faire recours à la force.

Néanmoins, ceci pose certains défis.

L'utilisation des sanctions s'est multipliée au cours des vingt dernières années. Ce qui n'était au départ que des mesures ciblées contre des individus spécifiques s'est souvent transformé en restrictions globales affectant des économies et des populations entières.

Les types de sanctions actuels comprennent :

Les types de sanctions comprennent : les sanctions ciblées : contre des individus, des entreprises ou des groupes spécifiques (comme les sanctions contre Al-Qaïda ou des chefs de milice spécifiques) ; les sanctions sectorielles : contre des parties d'une économie (comme le secteur bancaire syrien ou l'industrie pétrolière iranienne) ; les sanctions globales : des embargos commerciaux virtuels sur des pays entiers (comme la Corée du Nord ou Cuba) et les sanctions secondaires : des sanctions appliquées par les États-Unis à des citoyens non américains pour avoir interagi avec la ou les cibles de leurs sanctions. Obtenez plus de conseils pratiques sur la négociation avec les autorités sanctionnées ci-dessous.

Pour le personnel humanitaire, il est essentiel de comprendre le fonctionnement des sanctions. Qu'il s'agisse de négocier l'accès avec les autorités de facto au Yémen, de coordonner la distribution de l'aide en Afghanistan ou de collaborer avec des groupes désignés comme terroristes au Sahel, les sanctions font partie intégrante de notre quotidien.

Comprendre ce qui est autorisé (ou pas) afin de respecter les sanctions

La situation se complique quelque peu lorsqu'il s'agit de garantir le respect des sanctions.

👉 La plupart des activités humanitaires sont en réalité exemptées des régimes de sanctions.

Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et les Nations Unies disposent tous d'exemptions humanitaires qui permettent aux organisations humanitaires de fournir une assistance même dans les zones sous un régime de sanctions sévère.

Cependant, connaître la loi et convaincre les banques, les fournisseurs et même votre équipe juridique que le travail humanitaire est autorisé sont deux défis totalement différents.

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Généralement, les sanctions interdisent :

  • Les transactions financières avec des parties sanctionnées
  • L'achat de certains biens ou services
  • Le « soutien matériel » aux groupes désignés
  • Les partenariats commerciaux avec des entités sanctionnées

Ces activités sont interdites pour les ressortissants du pays qui a appliqué les sanctions, ou par les ressortissants étrangers, si des sanctions secondaires américaines existent.

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Généralement, les exemptions humanitaires autorisent :

  • La livraison de nourriture, de médicaments et du matériel d'urgence
  • Les discussions de coordination sur l'accès humanitaire
  • Le paiement des salaires au personnel local
  • Les opérations basiques pour atteindre les populations affectées

Le mot clé ici est « généralement ». Chaque régime de sanctions est différent, et le diable se cache toujours dans les détails.

Défis réels et leçons du terrain

Prenons l'exemple des opérations transfrontalières dans le nord-ouest de la Syrie. Les organisations humanitaires y ont été confrontées à de multiples niveaux de sanctions : désignations américaines sur certains groupes, restrictions de l'UE et divers programmes de sanctions nationales. Pourtant, des millions de personnes dépendaient (et dépendent toujours) de l'aide transitant par ces moyens.

Les équipes sur le terrain ont dû faire face à :

  • Des contraintes financières : les banques refusent les transferts en raison d’une sur-conformité, obligeant les organisations à recourir à des systèmes informels de transfert d’argent ou à des livraisons d’espèces.
  • Les obstacles opérationnels : Restrictions à l’importation d’équipements médicaux ou de technologies de communication qui pourraient être considérés comme des articles à « double usage ».
  • Les défis d’accès : Nécessité de coordonner avec les autorités de facto tout en évitant toute apparence de légitimation ou de soutien aux groupes sanctionnés.
  • Les obstacles bureaucratiques : gestion de multiples niveaux de conformité – politiques organisationnelles, réglementations du pays hôte, donateur exigences et régimes de sanctions.

Résultat ? Les organisations consacrent souvent plus de temps à la préparer la documentation pour assurer la conformité de leurs opérations aux régimes de sanctions qu'à la mise en œuvre des programmes.

Six stratégies pour négocier sous sanctions dans le respect des principes humanitaires

Voici quelques approches qui peuvent vous aider à naviguer dans des environnements sous sanctions, tout en assurant la conformité aux régimes en place. Ces approches sont basées sur des expériences de terrain ainsi que des avis juridiques d'experts.

1. Ne présumez pas que vous ne pouvez pas travailler dans des contextes sous sanctions

De nombreuses organisations évitent complètement les zones ou pays faisant objet de sanctions, jugeant cela trop compliqué ou risqué. Pourtant, les régimes de sanctions n'interdisent presque jamais de discuter sur la coordination humanitaire avec les personnes placées sous sanctions. En fait, la plupart autorisent explicitement ce type de discussions.

La clé est de comprendre la différence entre :

  • Les activités interdites : fournir un soutien matériel, une assistance financière ou des ressources à des parties faisant objet de sanctions.
  • Les activités autorisées : la coordination humanitaire, les discussions sur l’accès et l'aide aux populations touchées.
Delaney Simon, analyste principal, programme américain, International Crisis Group

Delaney Simon, analyste senior au programme américain, International Crisis Group

« Ne présumez pas que les sanctions vous empêchent de parler aux personnes sous sanctions. […] Les régimes de sanctions ne vous interdisent jamais de parler à quelqu'un au sujet de l'accès humanitaire. […] Il existe toujours un moyen de parler à une partie faisant objet de sanctions. »

2. Acceptez qu'il y aura de risques

Comme un expert légal l'a dit : « Si vous voulez travailler dans des contextes humanitaires, vous devez accepter un certain niveau de risque. » L'objectif n'est pas le risque zéro, mais plutôt une gestion appropriée des risques tout en atteignant les personnes qui ont besoin d'aide.

Cela signifie:

  • Documenter clairement votre objectif humanitaire
  • Tenir des registres détaillés de toutes les interactions
  • Être transparent·e avec les donateurs et les partenaires sur votre environnement opérationnel
  • Disposer de procédures de remontée de l'information claires pour les situations difficiles

3. Travaillez collectivement, pas seul·e

Parmi les avancées les plus importantes en matière de politique de sanctions, certaines ont été réalisées grâce à la collaboration d'organisations humanitaires. L'exemption humanitaire de l'ONU (résolution 2664) existe notamment parce que les acteurs humanitaires ont plaidé collectivement en sa faveur.

Les approches collectives fonctionnent grâce au fait que :

  • Ils offrent une sécurité juridique au groupe entier
  • Ils créent l'opportunités de partager les meilleures pratiques et des stratégies de conformité
  • Ils donnent plus de poids aux voix humanitaires dans les discussions politiques
  • Ils contribuent à établir des normes cohérentes dans l’ensemble du secteur

4. Soyez proactif·ve dans votre recherche d'informations

N'attendez pas que des problèmes surviennent. Si vous travaillez dans un environnement qui fait l'objet de sanctions, demandez des licences, des lettres de garantie ou d'autres documents aux autorités compétentes, comme par exemple :

  • Des licences auprès des ministères de de l'Économie et des Finances
  • Une confirmation écrite que vos activités relèvent des exemptions humanitaires
  • La collaboration avec les autorités chargées des sanctions pour clarifier les zones grises
  • La documentation qui montre votre objectif humanitaire et vos mesures de conformité

5. Sensibilisez vos partenaires du secteur privé

Les banques, fournisseurs et prestataires de services en savent souvent moins que vous sur les exemptions humanitaires. Ils peuvent refuser de travailler avec vous, non pas parce que c'est illégal, mais parce qu'ils ne comprennent pas ce qui est réellement autorisé.

Les stratégies de sensibilisation qui marchent comprennent :

  • Le partage des licences générales et des textes d'exemption avec les partenaires financiers
  • Une documentation claire de votre mandat humanitaire
  • La contact entre partenaires et des des juristes qui peuvent expliquer les exemptions
  • Les relations à long terme avec des institutions qui comprennent le travail humanitaire

6. Respecter les principes humanitaires tout au long

Quelle que soit l’approche que vous adoptez, respectez toujours les principes fondamentaux d'humanité, de neutralité, d'impartialité et d'indépendance. Ces principes ne sont pas de simples lignes directrices éthiques ; ils constituent souvent votre protection juridique.

Les autorités qui appliquent des sanctions respectent généralement l'action humanitaire basée sur des principes. Des problèmes surviennent lorsque les organisations semblent soutenir des parties soumises à sanctions pour des raisons non humanitaires ou ne peuvent démontrer clairement leur mandat humanitaire.

S'adapter aux réalités politiques changeantes

L'un des plus grands défis des sanctions réside dans leur caractère rigide. Elles sont bien plus faciles à imposer qu'à lever, et elles perdurent souvent au-delà des situations politiques qui les ont créées.

Prenons l'exemple de l'Afghanistan. Lorsque les talibans ont pris le pouvoir en 2021, les sanctions existantes se sont soudainement appliquées au gouvernement de facto de tout un pays où des millions de personnes avaient besoin d'aide humanitaire. Cela a entraîné un effondrement économique et une catastrophe humanitaire qui ont largement dépassé les objectifs initiaux des sanctions.

Des dynamiques similaires se produisent à chaque fois qu’il y a des transitions politiques dans des environnements sous sanctions.

La clé est de :

  • Se préparer aux changements politiques : comprenez comment différents scénarios pourraient affecter vos opérations et vos exigences de conformité.
  • Établir rapidement le contact avec des nouvelles autorités : établir rapidement des moyens de coordination humanitaire après les transitions politiques.
  • Plaider en faveur de changements de politique : travailler collectivement pour garantir que les politiques de sanctions s’adaptent aux réalités du terrain.
  • Maintenir une flexibilité opérationnelle : Avoir plusieurs plans d’urgence pour différents scénarios politiques.

La Syrie en est un excellent exemple. À la chute du régime d'Assad en décembre 2024, les organisations humanitaires présentes dans le pays se sont retrouvées confrontées à un paysage de sanctions radicalement transformé.

En mai 2025, les États-Unis ont levé leurs sanctions contre la Syrie, suivis par l'Union européenne. Pour les acteurs humanitaires qui avaient passé plus de dix ans à naviguer dans des régimes de sanctions complexes tout en fournissant de l'aide aux populations syriennes, cela a représenté un changement fondamental dans leur environnement opérationnel.

Les organisations qui avaient développé des systèmes de conformité sophistiqués pour les territoires sanctionnés se sont soudainement retrouvées dans un environnement sans sanctions avec de nouvelles opportunités d’engagement direct, de transactions financières et de partenariats opérationnels.

Cependant, la transition a également apporté de nouveaux défis : s’assurer que le personnel comprenne les changements juridiques, en adaptant les procédures opérationnelles conçues pour le respect des sanctions et en gérant les relations avec les autorités qui n’étaient plus soumises à des restrictions internationales.

Les avantages de la négociation humanitaire pour construire des ponts

Voici quelque chose qui pourrait vous surprendre : être une organisation humanitaire peut en fait être un avantage lors de négociations avec des autorités sanctionnées.

Pourquoi ? Parce que les organisations humanitaires offrent quelque chose dont les autorités sanctionnées ont désespérément besoin : légitimité et le lien avec la communauté internationale.

Les autorités sanctionnées sont souvent confrontées à :

  • L'isolement international
  • L'accès limité aux systèmes financiers mondiaux
  • Des difficultés à fournir des services de base aux populations
  • La pression pour démontrer qu'ils peuvent gouverner efficacement

Les organisations humanitaires, opérant selon des principes humanitaires, peuvent fournir :

  • Des canaux neutres pour répondre aux besoins des populations
  • De l'expertise technique et des ressources
  • La reconnaissance internationale de leur rôle humanitaire
  • Des opportunités de démontrer une gouvernance responsable

Cela crée des opportunités naturelles pour négocier en suivant les principes humanitaires, mais seulement si les organisations humanitaires abordent ces discussions avec prudence et transparence.

Tactiques de négociation dans les environnements sous sanctions

Quand vous en avez besoin interagir avec les autorités qui font objet de sanctions, ces approches peuvent aider :

  • Soyez explicite sur votre objectif humanitaire : commencez chaque conversation en énonçant clairement votre mandat et vos principes humanitaires.
  • Centrez vous sur les besoins de la population : orientez les discussions autour des besoins des personnes concernées, et non des intérêts des autorités.
  • Documentez tout : conservez des enregistrements détaillés de toutes les interactions, y compris la justification humanitaire de chaque engagement.
  • Utilisez des intermédiaires lorsque cela est approprié : parfois, des tiers de confiance peuvent faciliter les discussions plus efficacement qu’un engagement direct.
  • Fixez des limites claires : soyez explicite sur ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire dans le cadre d’exemptions humanitaires.
  • Maintenez la transparence : tenez les donateurs, les partenaires et les autorités compétentes informés de votre approche d’engagement.
Mustafa Alokoud, responsable humanitaire chez Hope Revival, Syrie

Mustafa Alokoud, responsable humanitaire chez Hope Revival, Syrie

« Négocier avec les autorités de facto, tout en respectant les principes humanitaires et en évitant des risques juridiques, nécessite une attention particulière et souvent un dialogue approfondi avec des intermédiaires de confiance, comme le Groupe de travail sur l’accès ou parfois nos collègues de l’Appel de Genève. »

La liste de contrôle pour avoir la documentation essentielle

Une conformité efficace dans les environnements où des sanctions s'appliquent exige une documentation systématique. Les éléments essentiels sont les suivants :

Boîte à outils de conformité : Documentation essentielle Une conformité efficace dans les environnements sanctionnés nécessite une documentation systématique. Les éléments essentiels comprennent : Références d'exemption humanitaire : Copies de toutes les licences et exemptions générales pertinentes qui s'appliquent à votre travail. Dossiers de diligence raisonnable : Documentation montrant que vous avez vérifié les listes de sanctions et évité les parties interdites. Justification humanitaire : Déclarations claires de votre objectif humanitaire et de la manière dont chaque activité sert les populations affectées. Évaluations des risques : Évaluations régulières des risques et des sanctions atténuation mesures. Incident établir un rapport procédures : Des processus clairs pour établir un rapport et répondre à toute préoccupation de conformité. Dossiers de formation : Documentation attestant que le personnel comprend les exigences en matière de sanctions et les exemptions humanitaires.

L'avenir du travail humanitaire dans les environnements sous sanctions

Les sanctions ne sont pas près de disparaître. Elles risquent même de se multiplier, les gouvernements cherchant des alternatives à l'intervention militaire.

Cela signifie que les organisations humanitaires doivent s’améliorer dans les domaines suivants :

  • Comprendre les régimes de sanctions : investir dans l'expertise juridique et des systèmes pour garantir la conformité.
  • Plaidoyer de manière collective : travailler ensemble pour garantir que les exemptions humanitaires suivent le rythme des besoins opérationnels.
  • Innover : trouver des moyens créatifs pour fournir une assistance tout en maintenant la conformité.
  • Établir de relations : développer des partenariats à long terme avec des institutions financières et d’autres prestataires de services.
  • Documenter : tenir à jour les dossiers nécessaires pour démontrer l’objectif humanitaire et la conformité.

L’objectif n’est pas d’éviter les environnements qui font l'objet de sanctions, mais de travailler efficacement au sein de ces environnements tout en préservant la conformité juridique et les principes humanitaires.

Rappelez-vous...

En tant qu’organisation humanitaire, gérer les sanctions peut sembler insurmontable, mais n’oubliez pas que vous faites partie d’une communauté confrontée à des défis similaires.

Que vous négociiez l’accès avec un groupe placé sous sanctions, expliquiez les exemptions humanitaires à une banque ou essayiez de maintenir vos opérations après une transition politique, d’autres acteurs humanitaires ont été confrontés à des situations similaires.

La clé est de :

  • Rechercher le soutien de ses collègues et de ses réseaux
  • Partager des expériences et des bonnes pratiques
  • Travailler collectivement sur le plaidoyer politique
  • Se centrer sur les personnes que vous essayez d’aider

Votre prochaine négociation avec une autorité soumise à de sanctions pourrait s'avérer difficile, mais elle n'est pas impossible. Avec de la préparation, des principes et de la persévérance, les organisations humanitaires peuvent continuer à établir des liens et à fournir de l'aide, même dans les régions sous les régimes de sanctions les plus sévères au monde.

Bonne chance !

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